Le Domino Circus : Elijah Endeavour Acanthus

Né orphelin, sa seule certitude était de s’appeler Elijah.
Les racontars et autres on-dit, lui laissaient l’embarras du choix quant au destin de ses parents, destin qui n’avait qu’une seule et unique conclusion : ils étaient morts, le laissant seul au monde.

Ses jeunes années, Elijah aimerait certainement les effacer définitivement de sa mémoire. L’orphelinat, la maladie, la mort des enfants qui travaillaient dans les usines. La peur de connaître le même sort, l’indécision quant à une vie déjà marquée par avance.

Le rêve de tout orphelin : être adopté. Connaître ce changement pour le meilleur.

Un jour, un couple était venu à l’orphelinat. Il s’en souvenait comme si c’était hier. Ils cherchaient des enfants pour travailler au cirque. Caché dans l’escalier, il était fasciné par ces gens qui semblaient venir d’un autre monde. Le directeur de l’orphelinat avait ri avant de vouloir les congédier. Il n’avait aucune intention de céder les enfants qui lui ramenaient de quoi vivre. L’homme avait serré les poings de colère. Les yeux de la femme étaient tombés sur Elijah qui – avant de comprendre ce qu’il faisait – s’était jeté dans ses bras.

« Cet enfant part avec nous. »

Le directeur avait laissé faire.

Ma vie commença vraiment avec Joshuah et Myriem Acanthus.
Joshuah me donna un nom et un but dans l’existence. Il m’apprit tout du cirque, qui devint ma seule et unique famille.
Je suis aujourd'hui le meneur de la troupe... mais jamais, je ne suis retourné à Manchester.

“Ladies and gentlemen, girls and boys,
have we got a show for you tonight!
A once in a lifetime show.
Amaze your ears, astonish your eyes,
then run along home and tell your friends and neighbours.
A once in a lifetime show,
never to be forgotten for the rest of your lives.
So,why not step inside?
We're waiting for you.”

La roulotte était plongée dans une semi obscurité. Seule une lampe à huile sur la table dispensait une lumière jaune et éclairait les livres de compte ouverts. Elijah, assis sur la seule chaise, les coudes sur la table, avait la tête entre les mains, dans l’attitude d’un homme accablé.
Et accablé, il l’était. Le cirque était sur la pente descendante. Au bord de la faillite, plus exactement. Après le spectacle, il était rentré directement, sans prendre la peine de se changer. Il avait simplement jeté sa veste et son chapeau sur le lit, avant de se plonger dans ces chiffres qui lui faisaient horreur. Il releva légèrement la tête et avisa la boîte à musique qu’il ouvrit avec délicatesse. La danseuse à l’intérieur se mit à tourner au son des quelques notes qui rappelaient à Elijah un temps passé et heureux. Il laissa la rêverie s’emparer de lui, juste le temps de se détendre un peu.
Un bruit près de la porte le fit se retourner. Il avait pourtant expressément demandé à ne pas être dérangé. Mais Perle avait cette manie de n’en faire jamais qu’à sa tête. Il traversa la roulotte et ouvrit doucement. Un léger vent s’engouffra aussitôt, faisant brièvement vaciller la flamme de la lampe. Personne. Il referma la porte et retourna à la table.

Elijah resta immobile, sourcils froncés, une étrange sensation s’emparant de lui. Les livres étaient fermés, recouverts de feuilles de peuplier blanc. Il passa la main sur la couverture du livre, comme pour balayer les feuilles et presqu’aussitôt, il se sentit défaillir. Les feuilles volaient autour de lui, l’empêchant de respirer. Elle tournaient de plus en plus, de plus en plus près de lui. Il étouffait. L’angoissante oppression le fit pousser un léger râle et il recula par réflexe, soudain effrayé. Ses jambes se dérobèrent sous lui et il s’effondra au sol, les yeux écarquillés, il regardait le spectacle qui défilait devant ses yeux.

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D’abord terrifié, il avait voulu crier, appeler au secours, mais en voyant ce monde – son monde – qui l’entourait, qui le possédait peu à peu, il s’était tu, se laissant emporter. C’est alors qu’il l’avait vue. Une femme à barbe qui dégageait une aura de puissance telle, qu’il l’avait ressentie jusqu’au tréfonds de son âme. Se pouvait-il qu’il fût mort et que ce fût l’heure du jugement dernier ? Il repensa brièvement à sa vie dans le cirque. Il avait été un bon meneur, à l’image de son père. Il n’avait pas fait souffrir les artistes, juste les spectateurs, quelque fois, quand il fallait les faire disparaître.
Une brusque douleur lui vrilla la tête et il gémit, reportant le regard sur la femme à barbe devant lui. A moins que ce ne fut un homme finalement ?

« Azyl t’invite, te garde. Cirque tu es. Toujours et après. Prends-en soin. »

Il sombra alors dans un puits sans fond, incapable de bouger, de crier, de respirer. Il sut à cet instant que la mort n’avait rien de commun avec les écrits religieux qu’on lui avait serinés à l’orphelinat.


Il ouvrit les yeux et aspira une goulée d’air, comme un noyé qui revient à la surface. Sans bouger, il attendit que ses sens lui reviennent. Il se sentait glacé, pourtant une certaine chaleur l’entourait. Il tourna doucement la tête. Perle était étendue à côté de lui, reposant contre son épaule. Elle dormait. Etendus là, à même le sol de la roulotte plongée dans la nuit, ils devaient offrir un spectacle étrange. Elijah fut tenté de se lever, d’installer Perle sur le lit, mais il sentit qu’il était encore trop faible, aussi ferma-t-il les yeux, sombrant une nouvelle fois dans l’inconscience alors que Perle ouvrait ses yeux verts qui scintillaient presque dans le noir.